La 45e session du Comité du patrimoine mondial se tient à Riyad, en Arabie saoudite, jusqu’au 25 septembre. L’étude des propositions, dont celle de la Maison Carrée, débute ce samedi. Dixième volet de notre série spéciale : des anecdotes surprenantes.
C’est bientôt la fin du suspense ! L’étude des différentes propositions d’inscription venues du monde entier, dont celle de la Maison Carrée pour la France, débute ce samedi 16 septembre à partir de 16 h 30. Le Comité du patrimoine mondial devrait se prononcer mardi 19 sur la candidature du temple antique… Tout a déjà été dit sur le monument ? Pas certain : voici sept anecdotes insolites que vous ignorez peut-être.
1. La Maison Carrée n’est ni carrée, ni une maison
Environ 13,50 m de large sur 26 m de long. D’évidence, non, la Maison Carrée ne l’est pas. Elle est rectangulaire. Pourquoi ce nom alors ? Cette désignation remonte au XVIe siècle. A cette époque moyenâgeuse, dans l’ancien français, toute figure géométrique ayant quatre angles droits était désignée par le mot « carré ». Le rectangle était un « carré long », notre carré actuel étant à cette époque un « carré parfait ».
Et quid de la « Maison », alors ? « Le mot était employé alors pour n’importe quel bâtiment, qu’il s’agisse de la « Maison des consuls », l’hôtel de Ville, ou la « Grande Maison », qui est le palais de la sénéchaussée, précise Gérard Caillat, doctorant en Histoire et spécialiste de la Maison Carrée. La dire « carrée » au Moyen-Âge, c’était observer la régularité parfaite du monument, dans un paysage urbain tortueux et compliqué. C’était surtout avouer son ignorance sur un monument remarquable. »
2. Idolâtrée à travers les âges par les artistes… et les rois
La Maison Carrée, reine de beauté depuis 2000 ans. Devant elle, siècle après siècle, s’inclinent amoureusement les admirateurs les plus renommés. De passage à Nîmes en 1660 sur le chemin de son mariage à Saint-Jean-de-Luz, le jeune Louis XIV visite les vestiges antiques de Nîmes. Quatre ans plus tard arrive un ordre de la cour : il faut démonter la Maison Carrée pierre à pierre pour la rebâtir à Versailles !
« Les instructions sont assez précises pour ques des architectes viennent étudier l’affaire, examiner minutieusement le monument et envisager de numéroter chaque moellon, écrit Christian Liger, dans son indispensable Nîmes sans visa (éditions Robert Laffont). Mais ils trouvent le tout dans un si mauvais état qu’ils estiment ne pas pouvoir le reconstituer. » Bonne nouvelle : la Maison Carrée reste à Nîmes, où elle trouve sa raison d’être. Mauvaise nouvelle : voilà qui donne une idée de l’état de délabrement et d’abandon dans lequel elle se présente à l’époque.
En tout cas, le Roi Soleil (qui se prenait volontiers pour un Romain), n’est pas le seul à être tombé sous le charme de l’antique Dame de pierre. Bien avant lui, en visite à Nîmes en août 1535 avec son épouse Éléonore de Habsbourg, François Iᵉʳ visite les monuments romains de la cité. Le temple est, déjà, visiblement en piteux état. On dit qu’ »il parut comme indigné du peu de soin apporté à y conserver les monuments romains (les temps ont changé, heureusement !) et témoigna publiquement le déplaisir qu’il ressentait à cette négligence. » Avant de partir, le roi emblématique de la Renaissance française ordonne la démolition des constructions jouxtant et défigurant les vestiges antiques, arènes et Maison Carrée. Il n’est pas entendu immédiatement…
Les artistes, peintres et graveurs, prirent aussi souvent la Maison Carrée comme modèle, à l’instar de Charles-Louis Clérisseau ou d’Hubert Robert, entre autres. Dans sa correspondance, le fameux peintre Nicolas Poussin (1594-1665), écrit : « Les belles filles que vous avez vues à Nîmes ne vous auront, je m’assure, pas moins délecté l’esprit par la vue que les belles colonnes de la Maison Carrée, vu que celles-ci ne sont que de vieilles copies de celles-là. »
Moins goujat, Stendhal, de passage à Nîmes en 1837 : « J’ai vu des monuments plus imposants en Italie mais rien d’aussi joli que ce joli antique qui, bien que chargé d’ornements, n’exclut point le beau. C’est le sourire d’une personne habituellement sérieuse. » Trois ans plus tard, en 1840, c’est un certain Prosper Mérimée, alors inspecteur général des Monuments Historiques (cinq ans avant d’écrire Carmen), qui inscrit la Maison Carrée sur la toute première liste des Monuments historiques. Avant celle de l’Unesco, près de deux siècles plus tard ?
Guillaume Apollinaire, qui séjourne à Nîmes entre décembre 1914 et avril 1915 pour y faire ses classes au régiment d’artillerie, livre l’un de ses plus beaux calligrammes en donnant aux mots d’amour destinée à sa chère Lou la forme du temple antique.
3. Cet escalier qu’il s’agit de monter du bon pied
L’Histoire ne dit pas s’ils prennent soin chaque matin de se lever du bon pied. Mais on sait en revanche que les prêtres antiques sont un tantinet du genre soupe au lait sur les rituels, et la religion romaine n’en manque pas. Dans ce contexte, le chiffre de 15 marches pour l’escalier qui mène jusqu’à la porte de la Maison Carrée n’est pas le fruit du hasard.
Ce nombre impair permet aux prêtres du culte de poser le pied droit sur la première marche et d’arriver avec le même pied en haut de l’escalier. Une précaution qui évite ainsi de commencer (ou de terminer) la montée (ou la descente) par le pied gauche (sinistra), ce qui serait de bien mauvais augure. Les superstitieux sont prévenus.
4. Des fouilles secrètes pour y trouver un trésor
Le trésor de la Maison Carrée. Voilà qui ferait un bon titre de roman policier… Et c’est un peu le cas. Dans les premiers jours de mars 1764, M. de Saint-Priest. Intendant de la province de Languedoc, reçoit un avis anonyme. « Les Augustins, dit en substance le courrier, ont trouvé un trésor dans le souterrain de la Maison Carrée. Ils travaillent toutes les nuits à se l’approprier et il convient de se hâter si l’on veut en suivre la trace » (source : nemausensis.com).
L’affaire est sérieuse ! Convaincus par un radiesthésiste (qui a évalué la découverte à 10 millions de livres-or), les moines, alors propriétaires des lieux, se livrent en effet à de secrètes fouilles souterraines ; c’est un espion envoyé par l’intendant qui fait la découverte de ces opérations. Après vingt années de conflits entre pouvoirs religieux, royal et municipal, le souterrain est finalement rebouché pour préserver la solidité du monument. Pas la moindre piécette n’a été trouvée. Une histoire rocambolesque narrée dans le détail grâce à de sérieuses recherches par Emile Ségui dans un livre (Éditions Méridionales) sacré du Prix de la Ville de Nîmes en 1937. Un ouvrage aujourd’hui introuvable, ou presque, hélas.
A Nîmes, voilà qui rappelle la petite histoire du jardinier municipal François Traucat, qui, entendant la prophétie d’un certain Nostradamus annonçant qu’un jardinier deviendra riche en découvrant un trésor sous la Tour Magne (un aigle d’or), obtient d’Henri IV en 1601 l’autorisation de fouiller l’édifice. A force de creuser, durant des années et des années, il a failli détruire la Tour Magne ! Là-encore, pour n’y trouver nada. Ah, la soif de l’or…
5. Des trésors enterrés dans le sable pendant la guerre
Après de multiples usages, enfin revenue dans le domaine public, la Maison Carrée est transformée en 1824 en « musée Marie-Thérèse », consacré aux beaux-arts. En 1880, la création du Palais des Arts dans l’ancien Hôpital Général, puis la construction du musée des Beaux-arts, permettent de consacrer la cella aux seules collections lapidaires et céramiques. A l’extérieur, les vestiges antiques conservés jusqu’ici dans le temple de Diane s’organisent en un musée de plein air. En 1896, l’augmentation des collections conduit à installer le musée archéologique dans l’ancien collège des Jésuites. La Maison Carrée en devient la vitrine. Elle restera une salle d’exposition jusqu’en 2005.
Mais un temps, c’est dans l’obscurité de la cave du monument que sont installés les trésors archéologiques… Objectif : les protéger des ténèbres, ceux de la Seconde Guerre Mondiale. Cette stratégie apparaît dans un courrier adressé début 1943 par le Conservateur de l’Hérault au directeur des Musées nationaux. Le 20 mars 1943, le responsable du Louvre donne son accord pour que soient ainsi réalisées des étagères dans le sous-sol.
« On y posera les petites sculptures en pierre et en marbre, les objets en verre, et, à titre provisoire, les céramiques antiques qui n’y seront laissées que si l’humidité n’en décolle pas les morceaux. Les grandes sculptures seront placées sur le sol de cet abri, et éventuellement enterrées dans le sable« , peut-on lire dans le courrier écrit, à la main, par le Conservateur.
Lequel ajoute d’autres préconisations : « Les monnaies qui auront le plus de valeur seront déposées dans un coffre loué par la municipalité de Nîmes à la Banque de France. Quant aux bronzes, ils seront emballés dans trois caisses, qui iront ensuite rejoindre au château de Roquedols, en Lozère, les œuvres d’art du musée Fabre, des musées de Béziers et d’Ensérune, ainsi que des tableaux du musée des peintures de Nîmes, évacuées dès fin 1942. » La guerre passée, les trésors sont revenus.
6. Elle a servi d’église, de préfecture ou même, ah les rustres, d’écurie !
Le miracle de la Maison Carrée, c’est d’être parvenue jusqu’à nous dans cet état de conservation exceptionnel, c’est justement l’un des arguments clés de sa candidature à une inscription au Patrimoine mondial de l’Unesco. Elevé au début de notre ère, le temple fut dédié à Caius et Lucius Caesar, petit fils et fils adoptif d’Auguste, comme en atteste sa dédicace au fronton déchiffrée en 1576 par Jean-François Séguier.
Vraisemblablement changée en Capitole à la mort d’Auguste, puis en logements par les Wisigoths (des appartements de prestige, s’il en est), elle retrouve son statut de cœur de la vie publique locale du XIe au XVIe siècle en tant qu’Hôtel de Ville ou Maison consulaire de Nîmes. L’historien Ménard fait frémir l’amoureux du patrimoine dans sa description sur les transformations imposée à cet édifice : « D’abord on divisa l’intérieur en plusieurs pièces, et même en deux étages ; on y forma des voûtes, on y construisit une cheminée, qui fut adossée contre le mur du levant, et un escalier à vis contre celui du couchant. De plus, pour éclairer ces nouveaux appartements, on y fit plusieurs fenêtres carrées. Les consuls ajoutèrent dans la suite quelque chose à cet ordre. Ils firent fermer le vestibule par une muraille, qui allait d’une colonne à l’autre, alors, on ouvrit d’autres fenêtres et l’on fit une cave de la voûte souterraine du vestibule, On abattit aussi le perron. » Sacrilège !
Mais le pire est encore à venir. Au début du XVIe siècle, les Consuls l’échangent avec un particulier, Pierre Boys, contre un immeuble destiné à recevoir la nouvelle Maison consulaire. Par héritage, elle passe dans la famille des Brueys, seigneurs de Saint-Chaptes et est transformée… en écurie. Ah les rustres ! « Les colonnes du centre sont carrément tronquées pour permettre le passage du bétail, écrit Christian Liger. Les cannelures sont brisées à coup de marteau car on installe à mi-hauteur un auvent pour protéger les bêtes les jours de foire trop ensoleillée. Les murs sont percés, une fois encore, de poutres qui portent auges et mangeoires. »
La Maison Carrée de Nîmes souffre, mais la Maison Carrée de Nîmes survit. De la fin du XVIIe siècle jusqu’à la Révolution, la Maison Carrée devient une église, celle du couvent des Augustins. Puis la première préfecture du Gard et un musée, donc. Les restaurations successives, celle de la toiture en 1992 puis de l’ensemble de l’édifice et de ses décors de 2006 à 2010 réussiront à lui redonner son apparence initiale. Et son âme.
7. Non, ce n’est pas une illusion d’optique
Regardez bien. Non, ce n’est pas une illusion d’optique. Depuis la rue qui porte son nom, à l’arrière et dans l’axe de la Maison Carrée, le temple apparaît comme légèrement déformé. Les Romains, pas du genre bâtisseurs à la va-vite, ont pourtant construit le temple de manière parfaitement rectiligne. Mais voilà : les différents usage des lieux, l’installation de poutres et d’un étage à l’intérieur notamment, s’ils permettent de le conserver, finissent aussi par en modifier un peu la structure. « Sous le poids de la voûte qu’on a construit à l’intérieur, les murs se bombent lentement, comme un ventre de navire », image Christian Liger dans Nîmes sans visa.
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